En mon esprit la nuit. Episode 3.
Sabine Chaouche
Soundtrack: R Kelly, Fiesta; Jamiroquai, Cosmic Girl; Madeleine Peyroux, Dance Me To The End Of Love
Nuit hors de mes murs. Divagations, avec en prime un grand feu d'artifice… Enfoncée toute habillée sous la couette. ―
Même en rêve il a fallu qu’il se pointe. Et qu’il trotte en mes replis. Alors je me le suis fait mon vieux scénar’ merdique à moitié gore où je me défoulais copieusement sur sa gueule. ―
Il revenait, sans rien dire, matant d’un regard oblique. Puis il me suivait... Imperturbable. Impeccable de froideur. Dans des rues glauques échappées d’une série américaine, années 80 à la Starsky et Hutch, pleines de poubelles et de vieux cartons.
Nuit pluvieuse, grisonnant les murs sales, pas frappant le sol, derrière moi, le danger.
Alors je me mettais à baliser, le cœur se transformant en un genre de marteau-piqueur hystérique.
Il y avait un black jamaïcain portant chapeau haut-de forme et vieilles défroques qui arrivait de nulle part, et me tendait avec un sourire sadique un énorme spliff tout fumant de rouge. J’hésitais mais l’autre me rattrapant, je me saisissais à deux mains du pétard et je tirais dessus à me faire exploser les poumons.
Alors je la sentais, la transformation. Elle opérait. Fracassante. /
Autre décor.
Un entrepôt.
Des vitres cassées et une ampoule suspendue au bout d’une corde, lumière aveuglante.
Il était là devant moi ligoté sur une chaise. Je riais d’un rire idiot, sardonique, suraigu. ― L’agrippant par les cheveux, coup sec à lui faire péter les cervicales. Appuyant ensuite sur l’aorte… Son pouls au bout de mes doigts, s’accélérant, s’emballant… l’effroi voilant ses yeux…
J’enfonce un peu plus profondément mes ongles dans la chair molle. Juste sous la pomme d’Adam. Doucement, puis férocement. Encore et encore… Shootée par sa douleur. C’est bon... Fiesta, fiesta ! ― Ah t'es là ? ― R. Kelly qui chante. J’entonne à mon tour le refrain et je me mets à danser en faisant rouler mes hanches.
Même en rêve il a fallu qu’il se pointe. Et qu’il trotte en mes replis. Alors je me le suis fait mon vieux scénar’ merdique à moitié gore où je me défoulais copieusement sur sa gueule. ―
Il revenait, sans rien dire, matant d’un regard oblique. Puis il me suivait... Imperturbable. Impeccable de froideur. Dans des rues glauques échappées d’une série américaine, années 80 à la Starsky et Hutch, pleines de poubelles et de vieux cartons.
Nuit pluvieuse, grisonnant les murs sales, pas frappant le sol, derrière moi, le danger.
Alors je me mettais à baliser, le cœur se transformant en un genre de marteau-piqueur hystérique.
Il y avait un black jamaïcain portant chapeau haut-de forme et vieilles défroques qui arrivait de nulle part, et me tendait avec un sourire sadique un énorme spliff tout fumant de rouge. J’hésitais mais l’autre me rattrapant, je me saisissais à deux mains du pétard et je tirais dessus à me faire exploser les poumons.
Alors je la sentais, la transformation. Elle opérait. Fracassante. /
Autre décor.
Un entrepôt.
Des vitres cassées et une ampoule suspendue au bout d’une corde, lumière aveuglante.
Il était là devant moi ligoté sur une chaise. Je riais d’un rire idiot, sardonique, suraigu. ― L’agrippant par les cheveux, coup sec à lui faire péter les cervicales. Appuyant ensuite sur l’aorte… Son pouls au bout de mes doigts, s’accélérant, s’emballant… l’effroi voilant ses yeux…
J’enfonce un peu plus profondément mes ongles dans la chair molle. Juste sous la pomme d’Adam. Doucement, puis férocement. Encore et encore… Shootée par sa douleur. C’est bon... Fiesta, fiesta ! ― Ah t'es là ? ― R. Kelly qui chante. J’entonne à mon tour le refrain et je me mets à danser en faisant rouler mes hanches.
Steph m’applaudit. Mais l’autre se débat dans son costard Hugo Boss. Et le voilà qui me fixe avec de gros yeux éclatés fluorescents. Maman passe avec un rôti fumant tout droit sorti du four, son tablier plein de dessins tribals, je l’ai fait pour toi ma chérie, uniquement pour toi, dépêche-toi c’est l’heure de manger. /
La table, immensément longue, est prête à côté. Type sans visage qui m’attend. Je ne vois que ses longs doigts maigres aux multiples bagues gothiques, têtes de dragon, de mort. Elles me semblent vraiment surdimensionnées.
Je m’assois sur un fauteuil Voltaire et je tire trois cartes : le mat, la lune, le valet de pique. Je frissonne… et je lui dis qu’il n’est qu’un charlatan, un Marylin Manson de pacotille vu qu’il n’y a pas de valet de pique dans un jeu de tarot, et donc qu’il ne faudrait pas trop me prendre pour une imbécile, ces derniers temps j’ai eu ma dose. ―
Maman revient en tenue de soirée et Roshe One et me dit que Snoop Dog passe à la télé, qu’il faut que je me dépêche si je ne veux pas le rater.
Je fonce dans le salon tout violet, sans plafond. Matt, tiens te revoilà salaud ?... là allongé, les yeux clos. Toujours là quand il faut pas celui-là me glisse à l’oreille le black de tout à l’heure. Absolutely my dear. Il me tend une cravate en forme de lance et je me jette sur Matt qui se réveille. Je le vois virer rouge, puis rouge grenat, clignoter orange passer au vert… Ça me sidère. Stupide jusqu’au moment où je sens… ― Une goutte vient de s’écraser sur ma joue.
Je lève la tête… des passoires ? Elles passent tout doucement dans le ciel… suivies d’un nuage de farfadets.
Le temps est à l’orage me dit Steph.
Probable. Tirons-nous c’est plus prudent.
Je me retourne… Alors je la saisis, la langue de Matt... toute déroulée, pendante. Je note qu’elle est sacrément longue, donc qu’il… Ça se pourrait effectivement. ― Pas grave, je vais la prendre en photo, ça me fera un souvenir. IPhone 7. Rutilant. Clic. Raté. Plus près. Clic. Bôf. Un selfie ? Pourquoi pas... Cool. Hop, dans la boîte. Je share illico sur Facebook Twitter Instagram Tumblr Snapchat ― En deux secondes déjà plus de neuf cent mille likes, trois-cent soixante-sept mille pokes, quarante-sept millions de retweets. Le kiffe du siècle. Hyper trending la meuf. /
Je pense alors qu’il vaudrait mieux la couper pour l’exposer sous les projecteurs, que le tableau aurait plus de gueule avec un bon éclairage. De ma trousse de toilette je sors alors des tas d’instruments chirurgicaux… Profonde inspiration. Je commence par sectionner et désosser un petit doigt. ―
Sa chevalière, je la mets discrètement dans la poche de mon jean… ―
Maman arrive avec le couteau électrique et m’assure que pour la viande, il n’y a pas mieux, qu’elle s’en sert tout le temps pour le gigot du dimanche. Steph pense que ça va gicler grave. Alors je tique, fais une moue dédaigneuse parce que je tiens à le rassurer que je ne suis pas aussi feignasse que lui, que moi au moins je nettoierai après ma chambre.
Heureuse de faire la cuisine. Longtemps que je ne m’y étais pas collée. ― Le Black refait surface et me demande ce que je prépare. Je lui réponds que tout ce que je sais, c’est que j’essaie de dépecer et de décortiquer… ça… un genre de vieille carne… Elle a dû bouffer plein d’araignées parce qu’il n’arrête pas d’en sortir des tripes de cette putain de bestiole. ―
Elles grimpent après mon bras, toutes noires, velues. /
Je lâche mon bistouri et cours dans la salle de bain prendre une douche. /
Je fais tourner le moteur… 488GTB. Ferrari surpuissante… J’appuie comme une malade sur l’accélérateur… Rugissements. Ivresse. J’ai un peu peur tout de même car cela fait bien dix ans que je n’ai pas conduit… Je fonce. Volant qui s’emballe dès que je le tourne. J’arrive direct dans un lavomatic. ―
De la mousse partout qui monte.
Jeff qui est à mes côtés me demande un aspro. Je lui dis qu’il y a des Myolastan dans la boîte à gants, qu’il n’a qu’à se servir. Je redémarre et je vois un mec sur le côté - trop beau le mec - le vrai canon, je tourne la tête arrivée à sa hauteur, je baisse la vitre, ralenti, et je lui hurle : EH, JE T’EMMÈNE ? tout en me rendant compte que c’est le corps d'un inconnu avec la tête de Matt…
Des pneus crissent. /
La table, immensément longue, est prête à côté. Type sans visage qui m’attend. Je ne vois que ses longs doigts maigres aux multiples bagues gothiques, têtes de dragon, de mort. Elles me semblent vraiment surdimensionnées.
Je m’assois sur un fauteuil Voltaire et je tire trois cartes : le mat, la lune, le valet de pique. Je frissonne… et je lui dis qu’il n’est qu’un charlatan, un Marylin Manson de pacotille vu qu’il n’y a pas de valet de pique dans un jeu de tarot, et donc qu’il ne faudrait pas trop me prendre pour une imbécile, ces derniers temps j’ai eu ma dose. ―
Maman revient en tenue de soirée et Roshe One et me dit que Snoop Dog passe à la télé, qu’il faut que je me dépêche si je ne veux pas le rater.
Je fonce dans le salon tout violet, sans plafond. Matt, tiens te revoilà salaud ?... là allongé, les yeux clos. Toujours là quand il faut pas celui-là me glisse à l’oreille le black de tout à l’heure. Absolutely my dear. Il me tend une cravate en forme de lance et je me jette sur Matt qui se réveille. Je le vois virer rouge, puis rouge grenat, clignoter orange passer au vert… Ça me sidère. Stupide jusqu’au moment où je sens… ― Une goutte vient de s’écraser sur ma joue.
Je lève la tête… des passoires ? Elles passent tout doucement dans le ciel… suivies d’un nuage de farfadets.
Le temps est à l’orage me dit Steph.
Probable. Tirons-nous c’est plus prudent.
Je me retourne… Alors je la saisis, la langue de Matt... toute déroulée, pendante. Je note qu’elle est sacrément longue, donc qu’il… Ça se pourrait effectivement. ― Pas grave, je vais la prendre en photo, ça me fera un souvenir. IPhone 7. Rutilant. Clic. Raté. Plus près. Clic. Bôf. Un selfie ? Pourquoi pas... Cool. Hop, dans la boîte. Je share illico sur Facebook Twitter Instagram Tumblr Snapchat ― En deux secondes déjà plus de neuf cent mille likes, trois-cent soixante-sept mille pokes, quarante-sept millions de retweets. Le kiffe du siècle. Hyper trending la meuf. /
Je pense alors qu’il vaudrait mieux la couper pour l’exposer sous les projecteurs, que le tableau aurait plus de gueule avec un bon éclairage. De ma trousse de toilette je sors alors des tas d’instruments chirurgicaux… Profonde inspiration. Je commence par sectionner et désosser un petit doigt. ―
Sa chevalière, je la mets discrètement dans la poche de mon jean… ―
Maman arrive avec le couteau électrique et m’assure que pour la viande, il n’y a pas mieux, qu’elle s’en sert tout le temps pour le gigot du dimanche. Steph pense que ça va gicler grave. Alors je tique, fais une moue dédaigneuse parce que je tiens à le rassurer que je ne suis pas aussi feignasse que lui, que moi au moins je nettoierai après ma chambre.
Heureuse de faire la cuisine. Longtemps que je ne m’y étais pas collée. ― Le Black refait surface et me demande ce que je prépare. Je lui réponds que tout ce que je sais, c’est que j’essaie de dépecer et de décortiquer… ça… un genre de vieille carne… Elle a dû bouffer plein d’araignées parce qu’il n’arrête pas d’en sortir des tripes de cette putain de bestiole. ―
Elles grimpent après mon bras, toutes noires, velues. /
Je lâche mon bistouri et cours dans la salle de bain prendre une douche. /
Je fais tourner le moteur… 488GTB. Ferrari surpuissante… J’appuie comme une malade sur l’accélérateur… Rugissements. Ivresse. J’ai un peu peur tout de même car cela fait bien dix ans que je n’ai pas conduit… Je fonce. Volant qui s’emballe dès que je le tourne. J’arrive direct dans un lavomatic. ―
De la mousse partout qui monte.
Jeff qui est à mes côtés me demande un aspro. Je lui dis qu’il y a des Myolastan dans la boîte à gants, qu’il n’a qu’à se servir. Je redémarre et je vois un mec sur le côté - trop beau le mec - le vrai canon, je tourne la tête arrivée à sa hauteur, je baisse la vitre, ralenti, et je lui hurle : EH, JE T’EMMÈNE ? tout en me rendant compte que c’est le corps d'un inconnu avec la tête de Matt…
Des pneus crissent. /
J’écrase la pédale de frein, la ceinture me coupe le cou violemment. Bruit assourdissant de casse. Choc frontal qui me décolle du siège, ma tête heurte le volant mais je n’ai pas mal du tout. Je ne ressens rien… Que dalle. Seulement mon poignet est complètement torsadé et je ne peux plus utiliser ma main gauche parce mes doigts sont en accordéon.
Je me détache, je saigne… un genre de coulis de framboise visqueux. Je goûte, hum pas dégueu. Amas de tôles froissées. Je parviens à m'extraire. Extirpée de la caisse, d’un coup je vois des yeux qui sautillent sur le rebord de la route comme des balles de ping-pong… ―
Je crie.
Je viens de buter mon copain le Black qui gît, au beau milieu de la chaussée, coupé en deux. Je pleure parce que je n’aurai plus de gros pétard magique.
Matt ? Évanoui dans la nature, je reste toute seule comme une conne, le corps du Black s’écoulant, goutte à goutte, dans le tout-à-l’égout...
Un Dali sans moustache veut immortaliser la scène. Je l’envoie promener mais tout se disloque et se ramollit. Le Black fond avec l’arrivée du soleil, tout liquide s’évapore tandis que le bitume fume…
(c) S. Chaouche/TFM 2017
Je me détache, je saigne… un genre de coulis de framboise visqueux. Je goûte, hum pas dégueu. Amas de tôles froissées. Je parviens à m'extraire. Extirpée de la caisse, d’un coup je vois des yeux qui sautillent sur le rebord de la route comme des balles de ping-pong… ―
Je crie.
Je viens de buter mon copain le Black qui gît, au beau milieu de la chaussée, coupé en deux. Je pleure parce que je n’aurai plus de gros pétard magique.
Matt ? Évanoui dans la nature, je reste toute seule comme une conne, le corps du Black s’écoulant, goutte à goutte, dans le tout-à-l’égout...
Un Dali sans moustache veut immortaliser la scène. Je l’envoie promener mais tout se disloque et se ramollit. Le Black fond avec l’arrivée du soleil, tout liquide s’évapore tandis que le bitume fume…
(c) S. Chaouche/TFM 2017