En mon esprit la nuit. Dernier Episode. 32.

Sabine Chaouche

Soundtrack: Al Green, Let's stay Together; Chinese music

Adrien a été surpris de me voir arriver plus tôt que prévu, encore tout engourdi par le sommeil a ouvert, grommelant un Comment ça se fait que… ?
Il m’a aidée à installer Lili sur le canapé. Elle est restée comme figée, silencieuse, regard craquelé, blême, continuant à triper dans ses arrière-cours, sanglots taris, morne elle semblait éteinte. Un cierge consumé. Je lui ai nettoyé le visage et je lui ai parlé doucement, mais aucune réaction, elle ne répondait rien, se contentant de fixer des choses qu’elle ne semblait pas même voir.
Adrien l’a observée puis m’a fait signe. On est allés dans la cuisine. Je lui ai tout raconté. Il fronçait les sourcils, bras croisés, appuyé contre l’évier matait les carreaux du sol.
– Sale état, ta copine. Limite l’overdose.
– Qu’est-ce qu’on fait ? Il faut qu’elle se repose.
– T’as vu les traces de piquouzes sur ses bras ? Ça m’étonnerait qu’elle se repose... Cure de désintox’, là, obligé.
– T’inquiète, à la première heure je préviens sa frangine…
On a étendu Lili sur le canapé, toujours aussi cadavérique, vraie poupée de son.
Du coup on s’est installés par terre. ―
Insomnie.
Je me suis relevée et je suis allée me préparer un café histoire de m’éclaircir les idées.
L’aube se levait, rosé par traînées le ciel déployait ses ailes, recouvrant la nuit de ses brumes matinales. Je revoyais la figure de Matt toute amochée, quelque part la page se tournait. Définitivement. Il s’était trouvé là au mauvais moment. Avec son sourire perfide. Si au moins il avait fait un geste envers Lili. Mais rien. Rien que du voyeurisme, une pourriture de voyeurisme. De l’avidité malsaine. Il était con. Il l’avait toujours été. Il ne changerait jamais. Au moins j’avais réglé mes comptes avec moi-même. Rupture avec le passé. Je l’avais écarté de mon ressentiment, il ne faisait plus partie de mes préoccupations, il avait pris la porte. La haine tombait, poussiéreuse n’avait plus de raison d’être. D’autres personnes étaient plus importantes qu’un revenant. Incursion dans le présent sans grand intérêt, je me suis aperçue que je n’en avais strictement plus rien à foutre. Que je ne voulais plus rien savoir de lui. De sa vie. Que maintenant il m’indifférait total.
Le café m’a réchauffée. Les rues s’animaient en bas. Les premiers rayons de lumière filtraient. Quelques oiseaux pépiaient, éveillaient le boulevard, des caisses phares encore allumés s’élançaient sur le bitume à la sortie du feu, la ville reprenait son cours normal. Un autre jour à galérer. Est-ce que j’allais être virée ? Faudrait que je trouve une bonne explication ou que je me barre définitivement, sans préavis, sans jamais revenir sur cette soirée.


J’étais en cloque.
J’allais être mère.
Mère.
Ce mot résonnait étrange en moi parce qu’un enfant il n’y a rien de plus concret au monde. Et même si Adrien était spécial, chiant et caractériel, comme moi en fait, je ne voulais plus qu’on se quitte.
Je l’aimais.
Je l’adorais.
Lili était mal en point. Je n’avais rien fait, peut-être parce que je voulais donner une chance à ma relation avec Adrien. Elle était pourtant mon amie. Elle allait avoir besoin de moi. Je ne pouvais pas la laisser. Il faudrait que je sois là pour l’aider à remonter la pente.
Je n’étais plus confinée dans ma bulle, seule, bien à l’abri, leur présence me traversait, changeait le cours mon existence, m’obligeait à m’inscrire un peu plus dans le réel. J’aimais, oui, je les aimais tous. D’une manière différente. Mais je tenais à eux trois.
Ne pas se montrer égoïste.
Ne pas les abandonner.
Quoi qu’il arrive.
Simplement, tout ce que je voulais à l’avenir, c’était ne jamais avoir à choisir entre qui que ce soit. Rester libre. Libre de vivre. Sans jamais regarder en arrière. Sans jamais plus l’avoir, en mon esprit, la nuit.

(c) S. Chaouche/TFM